Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de mademoisellepioupiou
Le blog de mademoisellepioupiou
Menu
Les colis venant de l'Ouest ou devenir adulte en RDA

Les colis venant de l'Ouest ou devenir adulte en RDA

Les colis venant de l'Ouest ou devenir adulte en RDA

En train de rêvasser en regardant un documentaire #LesSenteursDeLart sur @Arte où il est notamment question de l’odeur des colis de l’Ouest, à propos de colis que la #RDA recevait de parents, d’amis en provenance de cet ouest diabolisé par le communisme mais tant espérés par les familles.

Où même la Stasi ou apparentés en revendait, ceux confisqués au destinataires, dans les magasins réservés la nomenklatura…Mon père avait obtenu de pouvoir faire venir de l’Ouest mensuellement un conteneur remplis de produits de l’Ouest,  c’était le rdv des expat français pour se partager ces colis miraculeux nous rappelant pas seulement les odeurs mais aussi les couleurs de l’ouest…

Tout était si fade et incolore en RDA, même les gens et les maisons, d’un bout à l’autre du pays tu retrouvais le même papier peint, l’individualité était suspecte…

Une masse informe, grise et silencieuse de gens marchait dans les rues, sacs et filets à la main au cas où… A cette époque comme du bétail, tu apprenais que s’il se formait 1 file, il fallait s’y mettre parce qu’il y avait eu un arrivage de quelque chose…mais quelles qu’étaient ces choses, elles étaient grossières, sans saveur, sans odeur, et finalement c’était peut-être aussi juste des vis…

A cette grisaille ambiante, il y avait une exception surprenante, à la période des fêtes de fin d’années ( Noël étant trop décadent) les millions de fenêtres des immeubles d’Allemagne de l’Est s’illuminaient d’une couleur au moyen d’une ampoule colorée mise à la fenêtre : Rouge, violet, bleu vert, jaune transformant les façades des immeubles en une succession de guirlandes colorées, toutes les mêmes d’un bout à l’autre du pays comme pour tout, uniformisées même dans la diversité, même dans la différence, ça devait être pareil…#RDA

Nous les résidents expat,  avions accès à des magasins à devises étrangères bien mieux achalandés, au marché noir, à nos colis spéciaux reçus de l’Ouest les nôtres n’étaient jamais confisqués, fouillés mais pas confisqués ,

Mon père s’adaptait à la saison et il faisait venir ces myriades de petites choses qui rappelaient aux effectifs de son chantier qu’il fallait tenir bon, que ni les vexations, ni les intimidations ne viendraient à bout de leurs motivations…qu’il y aurait un retour victorieux.

Le sport national des autorités de ce pays-là plus particulièrement était de semer le chemin de tous, du patron jusqu’aux derniers des arpètes, d’embûches administratives en tout genre, pour freiner le travail et bénéficier de pénalités de retard…

Déjà à cette époque, l’Europe trustait ses entreprises, un consortium de banques européennes avait financé la construction à conditions que ce soit des entreprises européennes qui la mettent en œuvre, résultat une entreprise française et un entreprise suédoise avait remporté l’appel, peut être d'autres mais je ne m'en rappelle pas et nous fréquentions surtout les suédois.

Tout était bon pour les provoquer et les faire chuter dans leurs échéances professionnelles, pas de grève à Rostock, pas de bras de fer avec les syndicats, pas d’affrontement avec les écologistes mais une sape perpétuelle des autorités.

Mon père devait se préoccuper du morale de ses troupes en plus de l’état d’avancement de son chantier, un peu comme lorsqu’il construisait des barrages au milieu de la jungle gabonaise…#ChutesDeTchimbélé

Tenir bon et avancer…

#LesColisDeLouest leurs rappelaient qu’il y aurait de nouveau de la joie et de la couleur, nous vivions dans nos petites bulles de communautés étrangères collées les unes aux autres, résistant à cette morne résidence par des rdv de partages entre nous pour tenir le coup dans cet univers gris et kafkaïen

Il arrivait le premier sur le chantier et en partait en dernier au grand dam de sa famille, il était exigeant sur le travail mais veillait à ce que les congélateurs du chantier regorgent de ces colis de l’Ouest pour organiser casse-croute et méchoui, piliers de ce métier des TP

C’était une  fête tous les mois quand il annonçait l’arrivée des conteneurs, de colis venus de l’Ouest,  de produits introuvables ici, des goûts de nos maisons, des saveurs de nos familles, des odeurs de nos enfances, des ancrages sur ce qui faisaient normalement nos existences.

Ces colis de l’Ouest c’était l’ancre qui nous reliait à nos vraies vies et nous promettait d’y revenir…c’était l’oxygène qui permettait de résister à toutes ces privations de liberté qui rendaient dingues.

Voir ce peuple allemand traverser sa vie sans espoir ou presque comme des zombies, que leurs colis de l’Ouest transformaient en gamins émerveillés pour quelques barres chocolatées,  une pièce de tissu colorée ou des boulons était un miracle.

J’ai des souvenirs mitigés de cette époque, bons parce qu’on était en famille tous les trois pour toutes les vacances scolaires (je vivais en France en internat à Cannes), bons parce que la vie d’expat, c’est la vie en communauté qui s’entraide et se célèbre, bons parce que le pays était magnifique et notamment la nature y était restée dans son jus depuis l’après-guerre…

Comme les bâtiments historiques qui avaient résisté à la fin du conflit #ChateauDeGüstraw où l’on te servait des morceaux de gibiers sur des sabres enflammés, ou comme à la #JäegerHütte où par exception se croisaient les notables du parti et les résidents discrets que nous l’on attendait que nous soyons.

Les forêts étaient somptueuses même si elles étaient interdites à tous à l’exception des chasses réservées à la nomenklatura, parfaitement entretenues pour empêcher que l’on puisse s’y cacher, gorgées d’une faune épargnée, des loups, des renards et des cerfs en grande quantité loin de l’extinction orientale puisque réservée à l’élite

Bons parce que j’avais 16 à 19 ans et qu’à cet âge tout est bon… j’étais fan de Klaus Nomi, Simple Minds et de Supertramp, j’allais boire de la bière et manger des écrevisses avec les suédois

Moins bons parce que où que tu sois en #RDA tu te sentais surveillé et coupable de quelque chose, moins bon parce le dispensaire accessible aux expat ressemblait au pire établissement d’une dystopie russe, moins bien parce que tu savais qu’à tout moment tout pouvait basculer

Moins bons car traverser le mur était une épreuve, tu ne savais jamais comment ça pouvait finir et ça pouvait finir très mal, moins bon parce que tu es coupé du quotidien du reste du monde à part les télex des sièges des entreprises. Tu ne sais rien du reste de ta famille, de ta ville de ta région sauf s’il se passe quelque chose d’extraordinaire de dimension internationale. C’est comme vivre isolé du monde sur un rocher au milieu d’un parc, le monde est autour de toi mais toi tu es en dehors de ton monde, c’est une impression curieuse au début, étouffante avec le temps.

 

Bien plus impressionnant vu du pied du mur

 

 

Moins bons aussi parce que j’y ai vécu à la télévision d’état la mort de la Princesse Grâce dans une langue que je ne comprenais pas

Moins bon car vivre le peu de liberté dont nous disposions au milieu de ce peuple opprimé était une terrible expérience, encore plus à cet âge qui est souvent celui de la révolte…

Moins bon car à l’aune des confidences de ma famille revenue quelques années auparavant des camps de rééducations vietnamiens où leurs conditions les avaient envoyés, je savais ce qu’on encourait de ne pas respecter une rectitude idéologique fixée et qu’il ne fallait pas faire courir de risque aux quelques allemands qui curieux ne pouvaient s’empêcher de venir au contact malgré le danger de se faire dénoncer.

Moins bons car je suppose que c’est là que mon père a creusé son cancer et son emphysème, en noyant dans la fumée son stress et sa frustration face aux autorités est allemandes…

Quelques années après, en dirigeant la construction de  #Penly, il devra affronter un des cancers du fumeur et finira cette carrière-là de constructeur sur ce dernier chantier … mais le temps de l’insouciance était déjà fini depuis #Rostock et les colis de l’Ouest en #RDA.

De cette époque, j’ai gardé peu de choses mais dans mes tripes une certaine défiance de ce genre de régimes, non pas de mes lectures mais de mon vécu, ça ne peut pas s’oublier quand tu rentres chez toi et qu’ostensiblement on a laissé des traces d’une récente fouille pour te dissuader de dissimuler quoi que ce soit, quand tu es suivie alors que tu te rends accompagnés de français dans un bar du port, quand tu comprends que les miradors sur la plage ne sont pas là pour te sauver de la noyade...

Mais ça n’émouvait pas trop l’opinion publique à cette époque encore terriblement emplie des relents du IIIème Reich, rien ne les intéressait que la guerre froide, pas le désespoir d’un peuple, sorti des griffes d’un ignoble tyran pour tomber dans celles des diktats d’une idéologie collectiviste rigide et hypocrite.

C’était en fait en rien une république démocratique, c’était un régime de féodalité, pyramide de petits chefs régnant en maître absolu sur son unité administrative, ne rendant de compte que financier au suzerain au-dessus de lui, j’ai vécu là-bas un moyen âge mais un moyen âge obscurantiste.

A cette époque le peu d’étrangers qui avaient accès à l’Est et notamment à la RDA bénéficiaient d’un visa transit limitant l’accès à certaines zones réservées aux « touristes », aux sympathisants et étaient flanqués d’un guide qui veillait à faire respecter cet «apartheid » qui les mettaient à l’abri de la réalité de l’envers du décor de cette démocratie là .

Tout y était bien patiné et mis en scène pour la vitrine, alors qu’avec ma famille nous avions comme tous les autres expat des visas de résidents ne nous fixant pas beaucoup plus de limites que les autochtones, à ceci près que nous nous pouvions partir à l’Ouest, écrire à l’Ouest, préférer l’Ouest, choisir nos vies et nos devenirs… !

Je me rappelle qu’au Gabon où le staff français était quand même bien plus restreint qu’à Rostock et quasi aucune main d’œuvre française (en RDA il ne fallait pas que le personnel français soit au contact de allemands pas même pour le travail), mon père avait fait affréter un bateau à moteur dont les stocks étaient perpétuellement à jour, pour pouvoir fuir en cas de trop grosse instabilité politique. #BarrageDeTchimbélé

A Rostock, ce n’était même pas possible, la Baltique était tellement surveillée que l’on n’aurait même pas pu s’échapper avec une paire de palmes.

Il avait tout juste pu faire venir deux ketchs suédois pour organiser des régates, puisque quasiment tous les sports ne nous étaient pas accessibles, il avait fait aménager aux abords des bureaux, deux terrains de tennis, installé des tables de ping pong, des clos de boules, un pseudo terrain de foot/rugby (la boite de mon père était bordelaise, de Bègles donc le rugby c’était un préalable), car la plupart du temps nous vivions comme sous un dôme, entre nous comme derrière une vitre sans tain, on regardait les allemands mais eux faisaient semblant de ne pas nous voir pour ne pas avoir d’ennui.

Je me rappelle que notre première sortie sur le port de Rostock avec Maman mais sans Papa avait donné lieu à un incident qui nous avait valu un retour inopiné et un peu rude au bercail, ce dernier ayant oublié de nous préciser que dans les lieux où ne pas se prendre en photos, il y avait le port, immédiatement interceptées on nous avait « expliqué » que l’on ne pouvait pas faire de photos et que l’appareil était confisqué.

S’il ne nous était pas interdit de fréquenter les allemands, ça n’étaient pas très recommandés, surtout pour eux, de temps en temps certains disparaissaient de notre paysage …ils avaient trop fraternisé avec nous…on ne les voyait plus.

Je suppose que cet antagonisme fratricide était le même que celui que subisse encore aujourd'hui les coréens, l'indigence et le désespoir face à la vitrine lumineuse du capitalisme triomphant #RDA #LesColisVenantDeLouest.

Aujourd'hui les images du #Mur montrent un mur tagué, graphé, coloré et iconoclaste, réapproprié par une humanité colorée et bruyante, le mien était uniforme, gris, froid, silencieux et lugubre, beaucoup de gens avaient perdu la vie en voulant le franchir.

 

Au moment de notre premier passage, la Pologne commençait à vouloir s'émanciper et les chars russes avait fait mouvement des deux côtés de ses frontières pour lui rappeler qu'elle était enclavée en zone hostile, la RDA était alors sillonnée de ces longs convois de chars menaçants de la mère patrie...

Grandir à l'ombre des aventures paternelles étaient parfois inquiétant mais toujours passionnant, en ce jour de fête des pères sans toi Papa, voilà les souvenirs que l'évocation de ce documentaire a fait remontrer en moi. On était inquiètes à Rostock mais on savait toujours pouvoir compter sur toi qui nous protégeait.

A cette époque j’étais passée de la fin de l’adolescence au début de l’âge adulte et vivre à moitié en DDR, en Deutsch Demokratische Republik était un sacré rite de passage…