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Le blog de mademoisellepioupiou
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Leur dire adieu

Leur dire adieu

Leur dire adieu

On est le 4 janvier ça me paraît pile le bon moment pour verbaliser ma réflexion sur les rites funéraires.

Jeune, j’étais farouchement opposée à ces rites.

Je trouvais ça ridicule de dépenser tant de temps et d’énergie pour enterrer un mort ou conserver ses cendres quelques part, la personne était morte, elle n’était plus là, que sa dépouille soit là ou ailleurs ne changeait rien pour elle et pour les survivants conditionner l’hommage qu’on rendait à sa mémoire par un passage « enffleuri » sur son lieu de sépulture me semblait absurde…

Longtemps j’ai pensé ça…clamant à qui voulait l’entendre que je m’y soumettais que par affection aux survivants qui voulaient que je le fasse mais que moi seule, jamais au grand jamais je ne me prêterais à une telle mascarade…

Que les personnes que j’avais aimées de leurs vivants restaient dans mon cœur et dans mes souvenirs, que je les trimbalais partout avec moi et que je n’avais pas besoin de ce rite funéraire et commerçant…

Et puis un matin de mai, alors que j’avais 35 ans, mon père est arrivé chez moi à 6h du matin pour m’avertir que Mamie était morte…ma mamie, celle que j’adorais, celle qui avait veillé sur mes jours, mon bonheur, ma santé, mes envies, mes peines de près comme de loin… elle ne serait plus là, elle était partie, elle nous avait laissé…inertes et vides de son sourire, sa chaleur, ses caresses…ma mamie…

Evidemment je me suis effondrée de chagrin, mes parents ont tous réglé et moi je marchais derrière eux comme une somnambule anéantie par ma peine.

Je me sentais coupable de ne pas avoir été là pour lui dire adieu, de ne pas avoir pu la retenir dans cette vie où elle nous avait abandonnés…

Et là, sans m’en rendre compte j’ai commencé, mettre des cierges dans chaque église que je croisais, à aller le week end à la jardinerie pour choisir des pots et grandes jardinières que je garnissais de plantes fleuries à ses couleurs préférées pour mettre autour de sa pierre tombale, à venir les arroser, à enrichir la terre des jardinières, tailler les pousses et couper les fleurs mortes, à venir entretenir cette sépulture…et pourtant j’habitais le département voisin… c’était comme un besoin apaisant pour la retenir près de moi, j’y allais même seule.

J’ai fait ça pendant des années, plus pour moi que pour elle, car ELLE, elle sait que je l’aime pour toujours, que jamais je ne l’oublierais, qu’elle est dans chacune de mes habitudes, chacun de mes gestes, chaque coup de brosse dans mes cheveux, chaque coup de cuillère en bois dans ses marmites en fonte, chaque note de musique d’antan, chaque explosion de feu d’artifice dans le ciel (même si je n’y vais plus), chaque tartine de miel, chaque gaufres au sucre, chaque caresses aux chiens et au chats, c’est une partie de sa vie qui coule dans mes veines.

Mais moi sans mamie comme ça du jour au lendemain, il a bien fallu que je meuble le vide laissé, que je comble le trou dans mon cœur brisé, alors j’ai fait ce que je critiquais le plus, j’ai même fait plus que des chrysanthèmes à la Toussaint et aux dates anniversaires pour apaiser mon chagrin…

Quand mon père s’en est allé à son tour, cette fois ci c’est ma mère qui m’a prévenue le matin à 6h également mais par téléphone, les choses étaient plus différentes, du chagrin mais finalement sans cette stupéfaction car il s’est éteint en trois ans, on étaient prêtes même si on ne l’est jamais vraiment et puis tout comme Papa, les funérailles de mon père étaient discrètes, une crémation, un columbarium à la Pagode. Alors j’ai recommencé avec une version plus asiatique de la chose, de l’encens des fruits sur l’autel des ancêtres, aller trainer dans l’Esterel plus souvent que d’habitude sous prétexte des chiens à faire courir, des fruits et légumes à aller acheter, le temps d’apaiser ma peine qu’il fallait que je taise à cette époque car « elle dérangeait »…

Au tout début du mois de décembre dernier, ma vielle Maman sans doute pour me faire une farce m’a laissée croire qu’elle était en train de partir, qu’elle n’avait plus envie, qu’elle était fatiguée, qu’elle avait été très heureuse de sa fête d’anniversaire mais là qu’elle n’avait plus le goût de se débattre dans son brouillard mais qu’elle voulait rester chez elle et s’éteindre chez elle que je n’avais pas le choix que je devais accepter et obéir à ma Maman…

Pendant quelques jours j’ai vécu la peur au ventre, qu’elle aussi s’en aille, je me suis torturée de questions sans réponse, ce que je redoutais le plus au monde était en train d’arriver…

Et puis non, c’est juste que pendant mes quelques jours d’absence elle s’était sentie perdue, sa boussole avait perdu le nord, tout d’un coup, elle a eu faim de mes petits plats, elle s’est remise à lire, elle a recommencé à me poser des questions, toujours les mêmes, elle est revenue et elle est bien là. J’ai voulu ces fêtes de Noël encore plus heureuse, encore plus gâtée, encore plus à l’écoute…

Tout ça pour oublier que la prochaine fois, il n’y aura personne d’autre que moi à 6h du matin et que ma terreur se déchainera et que je ne sais pas comment je ferais est ce que des jardinière fleurie suffiront à essayer de combler ce vide qui va m’aspirer, est ce que des cierges qui brûlent dans des églises vont faire taire mon cœur qui hurlera son chagrin, est ce que brûler de l’encens ou une bougie devant une photo d’elle apaisera le manque de sa voix ?

Une chose est sûre, c’est que je n’ai plus aucune certitude sur les rites funéraires et chacun fait bien ce qu’il peut pour calmer sa peine et retenir le souvenir de l’être aimé…parce que lorsqu’on est en deuil on redevient un enfant qui pleure.

Leur dire adieu